TOPONYMIE

TOPONYMIE
TOPONYMIE

La toponymie a pour objet l’étude des noms de lieux, ou toponymes. Dans le domaine linguistique, elle constitue l’une des deux branches de l’onomastique ou étude des noms propres (au sens large), l’autre étant l’anthroponymie, ou étude des noms de personnes. La toponymie comporte plusieurs catégories, essentiellement: l’oronymie, ou étude des noms de montagnes, l’hydronymie, ou étude des noms de cours d’eau, la microtoponymie, ou étude des noms de lieux-dits, l’odonymie, ou étude des noms de rues.

L’apparition de la toponymie est liée aux progrès accomplis, au cours du XIXe siècle, dans la recherche philologique dont elle est devenue peu à peu un rameau presque indépendant, sans toutefois s’en détacher, car, à quelque langage qu’on puisse faire remonter un toponyme, celui-ci est en soi un mot, dont il faut étudier l’évolution phonétique et sémantique.

Historique

Un moment déterminant pour l’étude des noms de lieux a été, vers 1860, la mise en chantier des dictionnaires topographiques de France: répertoires alphabétiques départementaux (dont la série n’est pas encore complète) donnant pour chaque toponyme des formes évolutives datées et munies de références. C’est à ce moment que furent publiés les premiers manuels doctrinaux par Jules Quicherat (1867), puis Henri d’Arbois de Jubainville (1890). C’est en s’appuyant sur les éléments fournis par les dictionnaires topographiques parus et sur ceux d’autres précieux corpus tels que l’Altceltischer Sprachschatz de Holder (1901), mais aussi sur sa connaissance personnelle des documents médiévaux, qu’Auguste Longnon put faire au Collège de France et à l’École pratique des hautes études un cours de toponymie: son enseignement a été recueilli et publié (1920-1929) par ses élèves L. Mirot et P. Marichal, en un manuel qui fait encore autorité. En 1937 paraissait la Toponymie de la France d’Auguste Vincent: cet ouvrage aussi savant que prudent n’a pas été remplacé. Mais c’est à Albert Dauzat que revient un rôle prépondérant. Ce dialectologue sut attirer l’attention du monde universitaire sur l’intérêt des disciplines onomastiques, notamment par les chroniques qu’il publia de 1932 à 1950 dans la Revue des études anciennes ; il sut aussi vulgariser avec intelligence les données et les résultats de cette science toute neuve, dans des ouvrages qui ont conquis le grand public. Il a fondé la Revue internationale d’onomastique et organisé en 1938 le premier Congrès international de sciences onomastiques.

Méthode

Dans son emploi primitif, le toponyme décrit. C’est un nom commun (toutefois, certains noms de lieux paraissent être des noms de personnes pris en fonction toponymique) auquel peuvent s’appliquer les procédés habituels de dérivation (suffixes, etc.) et de composition avec un déterminant (épithète, etc.). Quelle que soit sa formation, le toponyme peu à peu se fige sur un unique objet, dans un contexte linguistique en constante évolution. Il importe donc de remonter aussi loin que possible dans le processus de cette lente pétrification, afin de retrouver à quel moment le toponyme était encore un mot vivant et, par conséquent, à quelle couche de langage il appartient. Ainsi, l’examen des formes anciennes, graphies sous lesquelles un toponyme apparaît dans les inscriptions et les textes au cours des siècles, est essentiel; comme l’évolution d’un même mot est fort différente selon les dialectes, il faut, de plus, une bonne connaissance des lois de la phonétique historique vernaculaire et de la dialectologie régionale, faute de quoi cet examen reste lettre morte ou mène à des errements. Inversement, ces formes évolutives d’un mot peuvent constituer une précieuse source d’information sur les états successifs de la phonétique locale. Pour qui sait interpréter, même les latinisations, fréquentes dans les textes dès la renaissance carolingienne, même les attractions paronymiques, qui sont de tous les temps, peuvent permettre de percevoir un état de langue. L’enquête sur place (prononciations locales et contexte géographique) oriente également la recherche. D’autre part, si l’archéologie est l’un des principaux auxiliaires de la toponymie, parce qu’elle est susceptible de lui fournir des indications sur l’apparition d’un peuplement (ateliers préhistoriques, oppidum celtique, villa romaine, sépultures mérovingiennes), en revanche l’examen toponymique permet de déceler des habitats disparus, des vestiges enfouis, mais dont le souvenir est perpétué, inconsciemment, par les noms de lieux. Cependant, malgré l’observation conjointe des formes anciennes, de la topographie, des données historiques et archéologiques, le sens des toponymes reste souvent obscur. Plus on remonte dans le temps, plus la recherche a un caractère conjectural. Cela, joint au fait qu’il n’existe par exemple aucune liste exhaustive des noms de lieux de France, empêche qu’on puisse établir des statistiques sérieuses dans la nomenclature actuelle et, à plus forte raison, dans les phénomènes du passé. Il n’en reste pas moins qu’un certain nombre de critères linguistiques et chronologiques ont pu être dégagés et que, appliqués à bon escient, ils peuvent suppléer le silence ou l’absence des textes pour éclairer l’histoire du peuplement et des modes de vie.

Stratigraphie de la toponymie française

Les XIXe et XXe siècles ne produisent que peu de nouveaux toponymes; les noms des communes sont officialisés (seule la période révolutionnaire a été l’occasion de multiples changements, éphémères pour la plupart); les noms de lieux-dits sont en régression. Ce n’est guère que dans les noms de rues, dans ceux des domaines et des villas qu’il est possible, et souvent regrettable, de laisser libre cours aux fantaisies créatrices. Un problème tout récent est celui des fusions de communes, qui donnent lieu parfois à des solutions toponymiques arbitraires.

Beaucoup des formations toponymiques de l’époque «romane» (XIe-XVIe s.) sont encore intelligibles, mais il faut très souvent recourir aux vocabulaires dialectaux pour en percevoir le sens. Localement, elles avaient une signification claire et valeur d’appellatifs, c’est pourquoi nombre d’entre elles sont précédées de l’article. Elles sont infiniment variées et s’attachent à décrire: le relief (Le Puy); l’eau, courante ou stagnante (Noirpalu), fontaines et sources (Bonnefont); le sol, terres pierreuses (La Gravelle), argileuses (Marnières), sableuses (Airaines); la végétation, arbres (Le Saussoy, Le Teil) et forêts (Pleine-Selve), landes et friches (L’Herm); la faune (Tesnière), l’élevage (Vacheresse); les défrichements (Essarts, Noailles, Usclades, Tronches) et les cultures (Chennevières ou Cannebières, Panissières, Ségalas), les prés et pâtures; les constructions (Mesnil, Chazelles, formations du type Chez-X), établissements religieux (Grisolles, Moustiers), fortifiés (Rochefort); les voies de communication, carrefours (Carrouges), péages, gués, etc. Enfin, de nombreuses localités sont désignées d’un nom de saint (Saint-Chély, Dommartin), souvent d’après la titulature de l’église paroissiale.

À la suite des grandes invasions des Ve et VIe siècles, la toponymie a été marquée d’un apport germanique dans ses éléments constitutifs: mots du vocabulaire géographique (Bures), mais surtout formations à partir d’anthroponymes germaniques, soit par dérivation avec le suffixe d’appartenance -ing , soit en composition avec des mots d’origine latine (court, ville, villiers). Un deuxième apport germanique a eu lieu aux IXe et Xe siècles en Normandie, où la toponymie présente des traits caractéristiques (-tot, -fleur, etc.).

En ce qui concerne l’époque gallo-romaine, il n’est pas toujours possible de déterminer si les noms d’origine latine remontent aux premiers siècles de la romanisation ou si ce sont des créations tardives. En revanche, la présence, dans les formes anciennes, du suffixe d’appartenance -acum , d’origine gauloise, est un bon indice; mais là, la difficulté réside dans l’interprétation du premier élément: nom de possesseur? nom descriptif? Un autre suffixe, -anum , d’origine latine, a servi à former de nombreux noms de lieux dans les pays romanisés tôt: Provence, Languedoc, Corse. D’autres noms sont des formations purement latine (Forum Julii , qui est devenu Fréjus) ou hybrides (Augustodunum , où dunum est un mot celtique, qui est devenu Autun).

Du vocabulaire gaulois seuls quelques mots nous sont parvenus par les inscriptions et les gloses. Mais il est des régions, comme la Corse, la Sardaigne et la Sicile, où les Gaulois n’ont jamais pénétré, et, par confrontation avec les dialectes de ces régions et avec les langues celtiques modernes (breton), il est possible d’établir des distinctions entre mots celtiques et mots préceltiques. Sont sûrement celtiques des termes comme nant -«vallée» (Nantes), condate «confluent» (Condé), magos « marché» (Ratumagos , qui est devenu Rouen), etc.

Certains toponymes, noms de montagnes et de cours d’eau surtout, ne s’expliquent ni par le latin ni par le celtique: ils doivent être antérieurs au peuplement indo-européen. Les problèmes linguistiques que soulève cette question très complexe dépassent largement le territoire de la France. Quelques points semblent acquis, en particulier l’existence de thèmes, oronymiques (car- , mal- ) ou hydronymiques (dur- ). Le suffixe -asko ou -usko remonterait au ligure. Le basque est un résidu de ces langues de substrat pré-indo-européen dont l’étude reste l’apanage de spécialistes.

toponymie [ tɔpɔnimi ] n. f.
• av. 1869; de top(o)- et -onymie
Ling.
1Ensemble des noms de lieux (d'une région, d'une langue). Toponymie de la France (couche pré-indo-européenne, couche italo-celtique, gauloise, romaine).
2Partie de la linguistique qui étudie les noms de lieux. La toponymie et l'anthroponymie forment l'onomastique. Adj. TOPONYMIQUE , 1853 .

toponymie nom féminin Partie de l'onomastique qui étudie les noms de lieux, leur origine, leurs rapports avec la langue parlée actuellement ou avec des langues disparues. Ensemble des noms de lieux d'une région, d'une langue.

toponymie
n. f.
d1./d LING Science qui étudie les noms de lieux.
d2./d Ensemble des noms de lieux d'une région, d'un pays, d'une langue.

⇒TOPONYMIE, subst. fém.
LINGUISTIQUE
A. — Ensemble, système formé par les noms de lieux d'une région ou d'une langue. Après des siècles et des siècles, le savant qui étudie dans une région lointaine la toponymie, les coutumes des habitants, pourra saisir encore en elles telle légende bien antérieure au christianisme (PROUST, Guermantes 2, 1921, p. 418). Le souvenir de la voirie romaine ne persiste-t-il pas aussi dans la toponymie, le nom d'une localité comme Le Perreux ou Le Perray tenant à la traversée de cette localité par une voie empierrée...? (P. ROUSSEAU, Hist. transp., 1961, p. 48).
B. — Étude linguistique des noms de lieux, d'une région ou d'une langue, du point de vue de leur origine, de leur transformation, ou de leur signification. Le créateur de la toponymie française fut Auguste Longnon dont l'enseignement sur les noms de lieux de notre pays qu'il donna à l'École des Hautes études et au Collège de France ne fut publié qu'en 1920 (L'Hist. et ses méth., 1961, p. 678).
Prononc. et Orth.:[]. Att. ds Ac. 1935. Étymol. et Hist. 1869 [certainement plus anc., cf. toponymique] (BLADÉ, Études sur l'origine des Basques ds MULON, Terminologie française de l'onomastique ds Actes du XIe congrès internat. des sc. onom., 1975, p. 95). Formé de top(o)- et de -onymie (-onyme), cf. le synon. anc. 1872 toponomastique « science des noms de lieux » (LITTRÉ).
DÉR. 1. Toponymique, adj., ling. Relatif à la toponymie, aux noms de lieux. On doublera l'enquête toponymique d'une enquête dialectologique, on « interrogera » d'une part les lieux-dits et de l'autre les patois (L'Hist. et ses méth., 1961, p. 715). []. 1re attest. 1853 (BAUDRIMONT, Hist. des Basques, p. 398: Vocabulaire toponymique [titre d'un chap.]); de toponymie, suff. -ique. 2. Toponymiste, subst., ling. Spécialiste de toponymie. Le toponymiste devra donc s'assurer la collaboration de folkloristes et, ajouterons-nous, d'archéologues, d'historiens, de géologues et de botanistes (L'Hist. et ses méth., 1961, p. 717). []. 1re attest. 1939 (La Toponymie fr., p. 29); de toponymie, suff. -iste.
BBG. — DAUZAT (A.). La Toponymie fr. Buts et méthodes... Paris, 1939, 338 p.

toponymie [tɔpɔnimi] n. f.
ÉTYM. 1869, mais antérieur (→ Toponymique); de top(o)-, et -onymie.
Linguistique.
1 Ensemble, système formé par les noms de lieux d'une région, d'une langue. || La toponymie de la France est formée d'une couche pré-indo-européenne et de couches italo-celtique, gauloise, romaine.
2 Partie de la linguistique qui étudie les noms de lieux. || La toponymie et l'anthroponymie forment l'onomastique. || Toponymie des noms de montagnes ( oronymie), de rivières ( hydronymie).
1 Douville n'a jamais été Douville, mais Doville, Eudonis Villa, le village d'Eudes (…) Mais j'ajoute que la toponymie (…) n'est pas une science exacte; si nous n'avions ce témoignage historique, Douville pourrait fort bien venir d'Ouville, c'est-à-dire : les Eaux.
Proust, Sodome et Gomorrhe, Pl., t. II, p. 890.
2 La toponymie n'a pas seulement pour but de retrouver la forme primitive des noms de lieux, leur étymologie, leur sens originaire. Prêtant main forte à la géographie humaine, elle doit aider à reconstituer l'histoire du peuplement, de la mise en valeur du sol (…)
A. Dauzat, la Toponymie française, p. 39.
tableau Noms de sciences et d'activités à caractère scientifique.
DÉR. Toponyme, toponymique, toponymiste.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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